CHIMIE VERTE | par Estelle Bouillard de La Gazette du Laboratoire | Mai 2022
Chimie verte
L’équipe CASYEN et l’évolution des méthodes et des techniques au service de l’environnement
Rencontre avec le Dr Nicolas DUGUET, enseignant-chercheur à Lyon, responsable de l’unité d’enseignement CHIMIE VERTE dispensée dans le cadre de la licence Chimie de l’université Claude Bernard Lyon 1 (UCBL) et chercheur à l’ICBMS (Institut de Chimie et de Biochimie Moléculaires et Supramoléculaires).
Qu’est-ce que la Chimie Verte ? Comment l’inclure dans la recherche au quotidien ? Quelles applications concrètes ? autant de questions auxquelles l’équipe CASYEN s’attache à répondre.
Nicolas DUGUET, enseignant-chercheur à Lyon
Nicolas DUGUET : « Je suis enseignant-chercheur et partage mon temps à 50/50 entre ces deux activités. En parallèle de l’enseignement, je fais partie de l’ICMBS situé sur le site de LyonTech-La Doua. L’institut dépend de quatre tutelles : l’UCBL, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), l’Ecole supérieur de Chimie CPE-Lyon et l’INSA-Lyon. Nous sommes une dizaine d'équipes regroupées au sein de l’institut avec environ 1/3 de biochimistes et 2/3 de chimistes. Je travaille dans l’équipe CASYEN (Catalyse Synthèse & Environnement).
L’ICMBS s’organise autour de 4 axes thématiques de recherche :
- Chimie vers l’environnement
- Méthodologies de Synthèse
- Chimie à l’interface avec le vivant
- Biochimie et biologie moléculaire
J’ai rejoint l’équipe CASYEN en 2010. L’équipe compte actuellement 7 chercheurs / enseignants-chercheurs permanents et une quinzaine d’étudiants. Nous nous intéressons plus particulièrement à la catalyse et à l’environnement. Nous travaillons principalement en chimie organique et développons de nouvelles méthodes catalytiques, de nouveaux procédés, de nouveaux catalyseurs, etc. Nous travaillons aussi parfois sur des réactions existantes pour les améliorer, les rendre plus efficaces. »
La Chimie verte, qu’est-ce que c’est ?
La chimie verte est également appelée chimie durable. Elle prévoit la mise en œuvre de principes pour réduire et éliminer l’usage ou la génération de substances néfastes pour l’environnement, par de nouveaux procédés chimiques et des voies respectueuses de l’environnement.
Elle s’appuie sur 4 grandes actions fondamentales :
- Réduire le coût des matières premières, de l’énergie et des déchets produits
- Réduire au maximum l’utilisation et la production de produits toxiques
- Privilégier des procédés plus sûrs pour minimiser les risques d’accidents et de rejets
- Privilégier l’utilisation de matières premières renouvelables, en particulier d’origine végétale
Son objectif principal est de réconcilier l’innovation scientifique, l’efficacité économique, les contraintes environnementales et la demande des consommateurs.
Equipe CASYEN de l’ICBMS
Nicolas DUGUET précise « La chimie verte, est aujourd’hui un sujet « à la mode », mais en réalité, les recherches sont menées dans ce domaine depuis plus de 30 ans. Nous nous appuyons sur les 12 principes de la Chimie verte – facilement consultables en ligne - tels que la limitation des dépenses énergétiques, la conception de produits chimiques moins toxiques, l’économie d’atomes etc. Il y a énormément de possibilités en Chimie verte ! Typiquement, améliorer l’efficacité énergétique d’une réaction, c’est déjà faire de la chimie verte par exemple. Il y a un aspect que nous privilégions particulièrement, c’est l’utilisation de matières premières renouvelables. »
Les recherches axées sur la Chimie verte ont des impacts concrets dans notre quotidien.
Nicolas DUGUET explique « Nous travaillons par exemple sur la valorisation des sucres et des polyols, à partir desquels on peut faire des tensioactifs biosourcés utilisés dans les savons, les détergents, en cosmétique, etc., des produits avec un besoin de naturalité importante. Il y a ici deux aspects à prendre en compte : le produit d’origine végétale et la biodégradabilité de ce produit. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la valorisation des huiles végétales, qui contiennent des triglycérides. Avec l’engouement pour le biodiesel obtenu à partir d’huiles végétales, l’objectif était de valoriser le glycérol pour former des tensioactifs biosourcés, mais également de travailler sur la production de polymères biosourcés. L’objectif final est de valoriser l’ensemble de ces matières premières renouvelables. »
Nicolas DUGUET attire notre attention sur la particularité de son équipe qui est associée à un laboratoire malgache « la Dr Estelle Métay, responsable de l’équipe CASYEN, est également co-directrice du laboratoire international associé (LIA) à Madagascar, créé en 2011 par le Pr Marc Lemaire, fondateur historique de l’équipe. L’objectif de ce LIA est de valoriser les ressources Malgaches pour les Malgaches. Il a été créé pour réaliser des travaux de recherche dans les domaines de l’écologie chimique et de la chimie durable, en réunissant des expertises multidisciplinaires en chimie, écologie, biologie, microbiologie et entomologie. Un aspect de recherche particulièrement adapté au pays concerne la lutte contre les insectes vecteurs de maladies infectieuses. En effet, l’utilisation de pesticides reste efficace mais pose de nombreux problèmes de pollution et de résistance. En revanche, l’utilisation de produits répulsifs éloigne les vecteurs des personnes exposées sans aucun impact direct sur les populations d’insectes.
Nous travaillons en étroite collaboration sur ces thématiques de recherche et nous les accompagnons régulièrement, notamment en accueillant des chercheurs malgaches au sein de l’équipe à Villeurbanne. Nous organisons aussi des collectes de matériel pour le laboratoire sur place. »
Pour finir, Nicolas DUGUET nous présente sa spécialité sur l’organocatalyse « Au sein de l’équipe, chacun d’entre nous apporte ses propres compétences, expériences & expertises pour porter l’ensemble des projets. Ma spécialité, c’est l’organocatalyse, c’est-à-dire l’utilisation de petites molécules organiques capables de mimer les actions des enzymes. Je suis porteur d’un projet financé par la région Auvergne Rhône Alpes et soutenu également par le pôle Axelera, le projet VALCOUPENZ, en collaboration avec la Pr Laurence Hecquet à l’Institut de Chimie de l’université de Clermont Ferrand (ICCF), projet qui vise à valoriser les huiles végétales par catalyse enzymatique. Débuté en 2017, ce projet va s’achever en juin 2022. En parallèle, nous avons mis au point une méthode de coupure d’huiles végétales en aldéhydes en utilisant l’eau oxygénée (H2O2) comme oxydant propre. Les intermédiaires produits ont été coupés thermiquement en flux continu, générant ainsi les aldéhydes désirés et de l’eau comme sous-produit. Les aldéhydes obtenus sont d’excellents « building blocks » pour la préparation de tensioactifs et de monomères biosourcés.
Je suis également porteur d’un projet financé par l’ANR (Agence nationale de la Recherche), ThermoPESO pour valoriser la biomasse et le CO2 avec des organocatalyseurs supportés. Ce projet propose de développer des organocatalyseurs supportés sur des supports polymériques innovants, qui facilitent leur récupération et leur recyclage sans compromettre l’activité catalytique. Le projet est réalisé en collaboration avec les Dr Franck D’Agosto et Christophe Boisson (C2PM-Lyon), spécialistes des polyoléfines. Avec l'épuisement des ressources fossiles et la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre, l'utilisation de la biomasse renouvelable comme matière première est devenue une nécessité à long terme et un véritable défi pour les chimistes et biochimistes. Cependant, l'utilisation de la biomasse implique que de nombreuses barrières technologiques doivent être surmontées et de nouveaux outils développés. Dans ce contexte, l'organocatalyse pourrait être une option intéressante. En effet, les organocatalyseurs ne reposent pas sur les métaux ; ils présentent donc généralement une faible toxicité. Cependant, l'utilisation d'organocatalyseurs a été peu étudiée pour la transformation de matières premières renouvelables ou pour la valorisation du CO2. L'organocatalyse a des inconvénients inhérents tels que des charges élevées de catalyseur, une stabilité modérée, une récupération difficile et une faible recyclabilité. Pour résoudre ces problèmes, certaines stratégies d'hétérogénéisation ont été rapportées en utilisant des polymères organiques ou des matériaux mésoporeux. Ces organocatalyseurs supportés sont généralement bien recyclables, mais ils souffrent d'une faible activité catalytique par rapport à leurs versions non supportées, principalement en raison de problèmes de diffusion. Dans ce contexte, de nouvelles stratégies devraient être développées pour la récupération et le recyclage des organocatalyseurs sans compromettre l'activité catalytique. »
Au-delà de ces quelques exemples, la Chimie Verte a à l’évidence encore de nombreux défis à relever pour répondre aux enjeux environnementaux & sociaux de demain.
____________________________
Pour en savoir plus : http://www.icbms.fr/casyen
Contacts : [email protected], [email protected]